La vallée Ziro
Alors je vous le dis dès le début de cet article, la vallée Ziro (toujours en Arunachal Pradesh) est notre top number one destination de tout ce séjour aux 7 sept sœurs. Il y a tellement à raconter que j’aurais pu écrire 3, voire 4 articles sur le sujet, mais déjà que le retard récits/réalité dépasse les 8 mois, en ne va pas faire dans la dentelle (quitte à y revenir plus tard).
Alors nous voici fraîchement arrivés à Hapoli après des heures de sumo, plus une nuit sur la route… La ville ne casse pas des briques, mais nous sommes prêts à passer outre, et pour se faire nous allons faire quelque chose que nous faisons très rarement, faire appel à un guide (4ème fois en 7 ans de voyage), mais quel guide ! Il parle anglais et fait partie de la tribu locale, car oui c’est un Apatani. Vous n’avez jamais entendu parler des Apatanis ? C’est un peu normal, mais les photos suivantes vont vous parler, sûr que ces visages aux nez percés ont déjà eu leur place dans des reportages télé ou magasine.
Chirstopher (c’est son nom) nous emmène dans le village de ses parents :
– « Je peux prendre des photos des habitants ? »
– « Mais oui, pas de problème »
– « Je leur demande quand même avant, non ? »
– « Non, vous êtes avec moi, tout le monde me connait il n’y a pas de problème »
– « Euh ok… Mais bon si ça les dérange tu me le dis »
– « Ok, mais il n’y aura pas de dérangement, nous sommes heureux de vous accueillir »
Il n’y a personne à la maison, alors ils nous présente quelques voisines
Puis nous partons (en scooter !) dans un autre village afin de rencontrer les parents d’un de ses meilleur ami… Allons-y !
La maison est remplie de crânes de buffles, nous sommes accueillis par un couple d’anciens, pas farouches, le grand-père a tout de suite été mettre sa tenue pour poser, cigarette au bec, pour la photo.
Ils étaient en préparation pour une cérémonie, et pour cela ils préparaient le « cadeau », et c’est quoi le cadeau ? Une peau (et son gras) de vache sauvage (appelée mithun, gaur ou encore bison indien) séchée et mise à plat, et c’est là qu’il ne faut pas se manquer, car ça doit être plat de chez plat.
Pour cela ils utilisent différents poids, la plupart du temps : des pierres. Puis il l’a coupe, il faut que ça soit bien droit, un beau rectangle, plus c’est plat et droit, plus ça a de la valeur à leur yeux.
Mais la forme n’est pas le seul élément d’importance, l’âge aussi, ils ont des peaux de 15, voire 20 ans !
– « Mais ne me dis pas qu’ils les mangent ?! »
– « Si, bien sûr »
– « Après 20 ans ?! De la viande comme ça !? »
– « Oui, par petits bout ça passe bien »
– « ……. »
Si dessous une « vieille peau »
Le drapeau qui représente la religion du coin, qui se nomme Danyi-Piilo et qui signifie « Soleil et Lune »
Ci-dessous des sortes de protection anti-maladie, elle sont réalisées par les shamans du village
Ces poteaux que vous voyez trôner devant pas mal d’habitations, sont réalisés pour chaque enfant masculin né dans la famille
Il y a souvent des cérémonies, et nous sommes toujours les bienvenus
Nous avons la chance de voir un shaman en action, ici il prépare un « anti-maladie » (je ne sais pas comment appeler ça autrement)
En général il fait ça quand quelqu’un est malade…
…et pour savoir ce qu’il ne va pas, ils lisent dans le foie d’un poulet.
Pour conjurer le sort, ils égorgent un porc et lui arrache le cœur à la main, oui ce n’est pas tendre.
Alors pourquoi les femmes sont tatouées au visage et portent ces ornements dans les narines (appelés yabinghulos), nous avons eu droit à deux versions (apparemment il y en aurait plus !) la première, qui est plus une légende qu’autre chose, est l’histoire d’une très belle femme qui voulait comme compagnon un très bel homme, elle était très difficile dans ses choix, personne n’était assez beau pour elle, mais le temps passe, elle atteint un âge où son visage n’est plus ce qu’il était, et toujours pas de prince charmant. Alors elle demanda aux Dieux du Soleil et de la Lune de l’aider à retrouver sa beauté d’antan, juste le temps de trouver l’être élu. Les Dieux l’ont écouté, et lui on donner comme consigne de se mettre des disques de rotin noircis dans les narines, et aussi de se tatouer le visage. La légende dit que peu de temps après elle retrouva, et sa beauté, et un compagnon. Bon c’est un peu tiré par les cheveux, mais c’est comme ça…
La deuxième version, plus probable, viendrait des guerres de tribus, à l’époque ils s’entretuaient pour les territoires, la nourriture, etc. Les femmes Apatani sont connues pour être les plus belles de la région, donc quand une tribu X remportait une victoire contre les Apatanis, ils emmenaient toujours des femmes avec eux. Pour remédier à ces kidnappings, ils n’ont rien trouvé de mieux que de les « enlaidir » avec ces tatouages et piercings. Ce qui freina les pertes féminines des villages.
Nous sommes maintenant invité à un mariage, et toujours ces rectangles de peau/gras en cadeau…
En fait ce n’est pas un mariage comme en l’entendrait chez nous, c’est plutôt un « après-mariage » il y en aurait entre 3 et 4 après l’union (qui apparemment n’est pas vraiment célébrée) et les plus gros bénéficiaires sont les enfants du couple.
Au fond à gauche le couple en question, les deux jeunes hommes debout sont les enfants, et la file d’attente est une chaîne d’offrandes…
…des peaux/gras de vaches…
…de l’argent…
…et des cloches qui ne sont pas des cloches (elles n’ont pas de battants), sans doute un symbole « chance et prospérité »
Seuls les gens portant cette écharpe sont réellement « invités », les autres sont présents par politesse, pour le fun, pour la nourriture, ou comme nous, par curiosité !
Un autre élément important de cette cérémonie …l’écureuil. La famille amène des écureuils (je ne sais pas trop si ils sont séchés ou empaillés…) et le shaman doit en choisir un, il doit être parfait, plus il est parfait, mois les enfants auront de problème de santé. Genre si l’écureuil n’a pas de mains parfaites, les enfants auront des problèmes avec leurs mains (dans un futur plus ou moins proche).
Quand l’écureuil est choisi le shaman le prend en mains et chante, ou plutôt marmonne en cadence.
Un deuxième écureuil fait partie du « cadeau » pour les mariés
Sur le chemin du retour le shaman fait ses incantations…
…c’est la femme qui doit ramener les cadeaux à la maison.
À ce niveau là, seuls les « vrais » invités accompagnent la famille à l’intérieur.
– « Moi il faudra attendre que je sois riche pour faire ces cérémonies » nous dit Christopher
– « Ben pourquoi ? »
– « Déjà toute la nourriture pour les invités ! Et puis ma femme elle vient d’un autre village, à plus de 500km »
– « Et alors ? »
– « Et alors ?! C’est la femme qui doit ramener les cadeaux, c’est à dire qu’elle doit les ramener dans sa maison d’origine, à 500km ! Avec les peaux de vaches, les offrandes, les invités, la nourriture, il faudra un mois pour atteindre les lieux avec tout ce barda… »
– « Ah ouais, pas facile la vie d’Apatani… »
Le soir on apprend qu’a 2h heures de route un festival se prépare, ce ne sont pas des Apatanis, mais cela pourrait être intéressant. On se décide donc (le lendemain) à faire le chemin jusqu’au village Pokhu avec la voiture de son cousin (ci-dessous)
Les « maires » portent tous fièrement ce chapeau qui doit contenir une partie de chaque animal rare de la région, la fourrure noire vient d’un ours par exemple.
Certains portent même leur épée bien gardée sous une mâchoire de tigre décorée avec des coquillages.
Puis des femmes de tous les villages environnants arrivent, elles sont toute en habits de cérémonie, car oui aujourd’hui elles ne portent plus ça dans la vie de tous les jours. Voici quelques clichés :
Le soir nous rentrons la tête plein d’images (et de couleurs !), sur le chemin on croise ces gars qui…
…pêchent ! Ils envoient du courant, et récupèrent leur proies avec une épuisette…
J’ai omis de vous parler du côté nourriture, en fait non, c’était fait exprès… Car de ce côté, il n’y a rien à apprendre, ça n’a pas trop de goût, c’est souvent bouillit (même la viande), alors non, pas un super souvenir. Mais bon le dernier soir Christopher nous propose de diner ensemble, et il nous propose du poulet cuit dans du bambou, on avait déjà goûté ça au Cambodge c’était délicieux, alors pourquoi pas ? Je pars avec lui faire les courses, on tenait à payer ce dernier repas, de retour dans la maison son oncle prend le poulet, le coupe en morceau et l’écrase à l’aide d’une pierre. Le truc c’est qu’il l’écrase avec les os… Puis le mélange avec des œufs, le balance dans les bambous, le tour est joué… super.
Une fois cuit ils nous servent le « résultat » qu’on mange sans broncher, et sans faire la grimace. Et pendant que l’on crache les milliers d’os qu’on a dans la bouche, Christopher nous montre ceci :
C’est du sel, du sel qu’ils tirent d’une certaine plante, et ceci est très important car dans cette région pas de sel, alors même si aujourd’hui tout le monde sait que trop de sel n’est pas bon par la santé, pas de sel du tout ne l’ai pas non plus. Une carence en iode dans des régions comme celle-ci n’est pas rare, le crétinisme a donc été (pratiquement) éradiqué dans cette vallée grâce à ce produit.
Il est temps de dire au revoir à Christopher et à cette fabuleuse vallée Ziro, pour repartir en Assam quelques jours.
Nous avons tellement apprit et découvert ici, encore un endroit « intouché » par le tourisme de masse, étonnant quand on y pense, la vallée Ziro a tellement à offrir, pourvu que ça dure…
26 réflexions sur « La vallée Ziro »
Et bien, en voici un bien beau reportage. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été transporté comme cela. Tout est nickel. Le sujet, le cadrage des photos.
Tu vois tes derniers retours sur ce voyages en Inde ne m’avaient pas donné envie d’aller voir ce coin du monde, et bien la maintenant oui.
Je comprends tout à fait, d’ailleurs pour te dire la vérité, même si je suis très content de l’avoir fait (et sans tour !) c’est le seul endroit des 7 sœurs qui me donne envie d’y retourner.
Encore des populations hors du temps, des civilisations hautes en couleurs et en
traditions mais désormais touchées par le modernisme oubliant certaines valeurs
comme la pêche traditionnelle qu’ils remplacent par un groupe électrogène pour
plus de rentabilité, plus de profits, sans se rendre compte qu’ils commencent à
tourner le dos à leurs racines ancestrales , c’est le propre de l’homme , délaissant
les coutumes pour les paillettes d’un monde que l’on croyait meilleur.
Tu as encore la chance de pouvoir côtoyer des personnages authentiques
qui finiront dans des livres d’histoire à côté des Indiens d’Amérique.
Bravo pour ces belles photos très originales et tellement causantes.
Gros bisous à plus
Oui, plus beaucoup de temps avant que tous cela disparaisse, that’s life.
Bise !
Comme toujours, un récit hors des sentiers battus super intéressant et pleins d’humour. J’adore lire vos péripéties. Les légendes sur leurs piercings et tatouages sont assez déroutantes. Elles aiment donc s’enlaidirent, j’aurai pensé que c’était une façon pour elles de se rendre plus attrayantes. Et j’imagine que vous avez du en goûter des plats difficiles à avaler.
Bonne continuation
J’ai pas dit qu’elles aimaient s’enlaidir ! Elles devaient s’enlaidir, pour leur sécurité, ce n’est pas la même chose.
Quant aux trucs difficiles à avaler, oui… Un paquet
Je voulais simplement dire que actuellement, comme elles continuent à le faire, elles continuent à s’enlaidir. Ce qui est assez étonnant.
Ben en fait non… La nouvelle génération ne le fait plus… Et il y a même certaines « anciennes » qui essaient d’effacer leur tatouages faciales
superbe comme toujours….etrange tout de meme cette histoire de peau/gras d’ animaux…assez curieux, tu devrais vraiement penser a publier tes photos , d’ autant plus qu’elles ont une vraie histoire/experience vecue derriere chacune d’ entre elles…
Elles sont publiées sur ce site
Merci d’apprécier !
les apatanis! C’est la première fois que je lis un article sur ses gens , il est clair qu’ils sont très généreux . Ce type de gens rare de les rencontrer pour ne pas dire impossible de les trouver sur terre mais bon ça existe encore ! Vous seriez les bienvenus sans rien donner ou payer.
Whaouuuu super article et les photos sont excellentes. Finalement ça « valait » tout ces soucis administratifs et autres aux 7 soeurs ! Bravo pour la persévérance, elle a payée !
Oui ça valait le coup, mais jusqu’à la vallée Ziro on en doutait… Heureusement les Apatanis nous ont fait pencher du bon côté de la balance.
encore une fois super article. Tu réussis vraiment à nous amener hors des sentiers touristiques habituels et j’adore ca. Je voulais savoir si tu avais une formation quelconque en photographie, car je dois avouer que tu as beaucoup de talents. Quel type d’appareil utilises-tu également en plus de tout ce talent? J’ai cru voir que c’était une canon, mais quel modele possèdes-tu? Tes photos racontent une histoire à elle seule. ca pend vraiment beaucoup de talents pour réussir à faire vivre les images en histoire.
Non je n’ai pas de formation photographique, et mon matériel est décrit sur la page « À propos ».
Merci beaucoup pour les compliments, j’essaie de faire au mieux, tant mieux si ça plait
A+
Super reportage !
Je me demande comment elles font pour respirer, ces Apatanis, oui par la bouche, mais ça m’étouffe d’y penser
Sympas, ces peux-gras de vaches toutes plates
Il me semble que les femmes ne sont pas très bien considérées (c’est elle qui doivent se coltiner de tout porter)…
Au plaisir cher Sandro
Marjorie
Alors les ornements ne sont pas DANS les narines, mais sur les narines, elle font deux trous de plus si tu préfères, donc pas de problème pour respirer
C’est vrai que de ce côté du monde, pareil avec le Nagaland, les femmes travaillent bien plus que les hommes (qui restent à la maison pour jouer aux cartes…) c’est leur culture.
A+ très chère~
Aaaaah je comprends mieux, j’étais sûre que c’était dans les narines
Dommage, cet aspect de leur culture
Mais c’est magnifique de découvrir le monde
Cela fait plaisir qu’il y a encore des coins du monde ou les rôles restent à leur place et que les mecs ne fichent rien
Au Nagaland c’était encore pire, pendant que les femmes étaient au champs, les hommes jouaient au cartes…
Je n’ai qu’un mot en bouche, INCROYABLE ! Les photos sont superbes, les textes très bien écrits ! Bravo et surtout merci pour ce moment de lecture
Avec plaisir, ravi de savoir que tu apprécies,
A+
Ce sont ces photos là qui ont tapé dans l’oeil de National Geo ?? Non je ne sais pas, je demande car j’ai survolé un tat d’articles sur ce blog et ça fait longtemps que j’ai arrêté de compter les magnifiques photos que j’y ai vu, dure de savoir lesquelles ont été selectionnées Quel travail. Merci.
Ah ! Merci.
Non ce ne sont pas celles-ci, en fait ils sont intéressés par les photos d’Imphal
https://www.tetedechat.com/blog/index.php/le-marche-aux-3000-femmes/
Et ils ne connaissent pas le blog (c’est National Geographic India) ils m’ont trouvé via mon Flickr
Avec plaisir (pour le travail)
A+
Bonjour Sandro,
Nous sommes en train de planifier un voyage dans le nord est de l’Inde avec une amie qui vit à Bombay, et on était en pleine hésitation de savoir : est-ce que ziro vaut vraiment le coup ?! (par rapport à la distance du trajet etc)… donc on avait envisagé un autre itinéraire pour partir à la découverte du nagaland et de ses tribus… et ton article et tes magnifiques photos nous font nous dire qu’on ne peut pas passer à côté de ziro !
Par hasard, est-ce que tu aurais encore les coordonnées de ton guide ? ou au moins l’agence par le biais de laquelle tu avais été mis contact ? -étant précisé qu’on partira du 21 octobre au 28… on s’y prend un peu en last minute ^^
Merci d’avance !
Nastasia
Bonjour Nastasia,
Alors oui, je suis toujours en contact avec le guide (Facebook friend !), et oui la vallée Ziro vaut le coût largement ! Pourtant je ne vous conseillerais pas d’y aller…
Vous n’avez que 7 jours ! 7 jours en Inde c’est rien du tout ! Surtout chez les 7 sœurs. Vous savez que dans cette région seuls les sumos (gros tout terrain) peuvent vous y emmener ? Que chaque trajet met 20h ? Rien que le permis prendra 48h à 72h à se faire (hors week-end). En plus de Mumbay c’est un sacré chemin pour atteindre Guwahati, en train c’est au moins 2 jours…
Bref, si tu veux joindre Christopher (le guide) je te mets en contact avec lui sans problème, envoies moi un mp, mais sincèrement cela serait dommage de découvrir cette région pressé, ou à la « va vite »
Amicalement.