Entre Manipur et Nagaland
Et hop on se réinstalle dans un sumo pour rejoindre Ukhrul plus au Nord dans le Manipur. Mais en fait non, il y a un bus ! Je sais ça parait ridicule, mais on était tellement content de changer pour un bus, un confort ultime, bon le seul truc c’est que tout le long on a eu droit à des chants chrétiens, avec les passagers qui chantaient « alléluia » tous en coeur…
On ne sait pas du tout à quoi s’attendre, et sur place …rien.
Enfin oui des maisons, et des rues, mais personne à l’horizon, pas d’hôtels, pas de restaurants, rien quoi… Plus personne dans le bus, ils sont tous descendus en chemin, le chauffeur se tourne vers nous :
– « Où voulez vous allez ? »
– « Ben on ne sait pas trop en fait… Il y a des hôtels par ici ? »
– « Euh oui je pense… Je vais faire arrêter quelqu’un pour qu’il vous amène »
– « Merci… Mais comment ça quelqu’un ?! »
Il se met sur la route, arrête la première voiture qui passe, discute avec le chauffeur 30 secondes et nous ouvre les portes :
– « Allez-y, il va vous amener »
– « Mais euh, ce n’est pas un taxi ? »
– « Non, mais tout le monde est un peu taxi à temps partiel ici »
– « Ok… Combien ? »
– « Combien ? De Roupies ? Bah 10 devrait suffire »
– « Ben merci beaucoup »
Le deuxième chauffeur s’arrête devant ce qui semble être une guest-house, je m’en vais lui dire au revoir, mais non il descend avec nous, il veut être sûr qu’il y ai bien quelqu’un à la réception, ouha sympa les gens ici. La chambre est très propre, pas souvent d’électricité mais ce n’est pas un problème. La nuit tombe, et on a faim ! Le seul « restaurant » du coin se cache en bas d’une (presque) cave, il faudra traverser un salon pour arriver dans cette cuisine sombre, et au menu unique.
Au petit matin nous n’avions qu’une envie c’est de refaire la route dans le sens inverse, non pas pour fuir, mais parce-qu’en arrivant dans la ville nous sommes passés devant une maison qui nous a marqué l’esprit, elle doit se trouver à 3 ou 4 kilomètres du centre, allons y faire un tour.
C’était une maison traditionnelle, en fait nous apprendrons qu’il y en a plus que 3 dans les environs
Nous étions entourés d’enfants, il y avait bien une adulte, mais personne ne parlait anglais…
À force de patience un homme vient nous rejoindre :
– « Vous aimez ma maison ? »
– « Oui ! C’est votre maison ? »
– « Absolument, chaque détails ont leur signification »
– « Donc les sculptures de têtes là, cela représente des crânes humains ? »
– « Oui, nous étions chasseurs de tête …avant »
– « Et les crânes de buffles ? »
– « Ça c’est pour la maison, on doit tuer au moins 3 buffles pour pouvoir construire une maison de ce type, ça coûte trop cher aujourd’hui, personne ne perpétue la tradition… »
– « Mais sur le dépliant que l’office du tourisme nous a montré ils avait des gens de la tribu Tangkul, ils étaient tous habillés de la même manière, où sont-ils ? »
– « Ha ! Je suis un membre de cette tribu, plus personne ne s’habille comme ça aujourd’hui ! Juste pour les festivals. »
– « Oh… C’est dommage, on aurait voulut voir ça… »
– « Vous voulez voir ? Pas de problème, restez là 2 minutes »
– « ??? »
Il part à l’intérieur et revient comme ça :
– « Ha merci pour le changement ! »
– « Pas de quoi, bon je dois aller travailler maintenant je vous laisse avec ma famille, ma belle fille parle anglais »
– « Ok merci ! »
Nous continuons donc la conversation avec sa belle-fille :
– « Vous avez de la chance d’avoir un beau père qui préserve la tradition ! »
– « Oh oui, mais je viens d’un autre village, avec différentes traditions »
– « Ah, vous avez des maisons comme ça aussi ? »
– « Non… Puis même celle-ci va devoir bouger »
– « Bouger ?! »
– « Oui, ils vont construire une autoroute, dans les 3 ans à venir il va falloir la déplacer pièce par pièce… »
– « Ouha !.. »
– « Vous avez déjeuné ? »
– « Euh, non… »
– « Ok, je vais vous préparer à manger »
– « Non mais ce n’est pas nécessaire ! »
– « Si, si, ça me fait plaisir ! Venez à l’intérieur »
On était un peu gênés, mais après tout pourquoi pas ?
En cuisinant elle nous dit de ne pas trop espérer quelque chose de très bon, car même son beau père n’aime pas quand elle cuisine…
– « Mais vous avez souvent des touristes qui viennent vous voir ? »
– « Oui ! Enfin des Indiens quoi… Surtout du gouvernement. Mais c’est la première fois que je prépare à manger pour des touristes »
– « Ha ! Nous sommes flattés ! »
Histoire de les remercier nous sommes allés acheter un peu de viande pour la famille.
– « Oh, merci mais il ne fallait pas ! »
– « Pas de problème, nous sommes ravit d’avoir fait votre connaissance »
– « Nous aussi ! Passez nous voir avant de partir ! »
– « Ok ! »
Passons faire un tour à la ville :
À la mairie vous pouvez admirer quelques vestiges des « Chasseurs de tête »
Le soir venu, nous retournons au fameux restaurant, et cette fois-ci un client nous parle :
– « Vous êtes chrétiens ? »
– « Euh non, elle est bouddhiste et je suis athée »
– « Comment ça ?! Mais tu es Européen, et tu n’es pas chrétien ?! »
– « Ben non… »
– « Tu sais moi je viens d’une tribu qui croyait au Soleil-Lune, on devait sacrifier des chèvres, trouver des pierres magiques, vraiment n’importe quoi ! Aujourd’hui grâce à Jésus et aux missionnaires, nous pouvons nous enrichir spirituellement avec la chrétienté »
– « Eh ben tant mieux ! »
– « Oui, alors pourquoi tu es athée ? »
– « Parce-que je suis bien comme ça »
– « Ok, tu sais quoi, mon frère tient un pensionnat, va le voir demain »
– « Ha tu veux qui me convertisse ?! »
– « Peut-être pas, mais parles lui il a des meilleurs mots que les miens »
– « Et bien en fait oui, pourquoi pas ? J’irai le voir demain, pas pour me convertir, mais histoire de voir le pensionnat »
Nous voilà donc en compagnie de Ning, qui en plus d’essayer de nous montrer « la voie » nous offrira aussi le déjeuner (décidément !), comme d’habitude les argument sont les mêmes, facile (pour moi) de les contrer. Ce qui est (beaucoup) plus intéressant c’est la conversation qui suivie :
– « C’est quoi cette carte ? »
– « C’est la carte du peuple Naga »
– « Comment ça ? Mais c’est bien plus grand que le Nagaland ! »
– « Et oui, ils nous ont divisé, vous connaissez le proverbe »
– « Diviser pour mieux régner ? »
– « Absolument. Je suis Naga et ici c’est le Manipur, mais il y en a aussi en Assam et dans l’Arunachal Pradesh »
– « Mais pourquoi ? »
– « Les Nagas ne faisait pas partie de l’Inde, c’est une fois que les anglais sont partis, et que le Myanmar traça ses frontières, que le litige commença »
– « Donc il y a des Nagas même au Myanmar ? »
– « Bien sûr ! Il y a même une maison dans un village plus au Nord, qui a l’entrée en Inde et la cuisine côté Myanmar ! »
– « Ouha… Comment ils vous ont convaincu de devenir Indiens ? »
– « Par la force… On s’est battu pendant des années, et puis… La région n’est pas vraiment « peace » il y a toujours un tas d’indépendantistes, c’est pour cela que l’armée est partout »
Et là il nous raconte les épreuves qu’ils ont dû subir, comme quand l’armée indienne rentrait dans les villages, séparait les hommes des femmes, coupait les organes génitaux des hommes pour les faire manger aux femmes… Ou encore comment ils kidnappaient les femmes pour s’en servir de bouclier, ils se mettaient derrière elles, le fusil sur leurs épaules et progressaient facilement dans la forêt car les Nagas n’osaient plus tirer.
– « Ceci a changé seulement en 1997, nous avons eu un nouveau représentant qui a su négocier, alors on attend »
– « Vous attendez quoi ?
– « On se fiche d’être Indiens ou Birmans, nous sommes Nagas avant tout, et on attends d’être un jour tous réunis, quelque soit le pays »
Au moment où nous étions sur place il y avait des pourparlers pour une réunification, personnellement je n’y crois pas, pas plus que je crois à un Tibet libre…
L’école est fini, l’eau courante n’est pas encore là, alors les enfants et les femmes se succèdent au puits :
Cette histoire Naga nous a donné envie d’en savoir plus, demain nous partirons (en sumo…) au Nagaland.
Les hôtels de la capitale (Kohima) sont ou trop chers, ou complets, ou …minables, bon ben on va prendre la dernière catégorie alors…
Ici il est nécessaire d’aller au commissariat pour se faire noter, c’est gratuit et en échange ils vous donnent un papier qui prouve que vous êtes « légal » au Nagaland, je n’avais pas bien vu l’intérêt au départ…
8h du matin on frappe à notre porte, le temps d’être sûr que ce n’est pas une erreur on ouvre. Deux policiers sont face à moi :
– « Vous voulez quoi ? »
– « Euh… Euh… »
Ils ne parlaient pas anglais, ils jettent un coup d’œil rapide à la chambre puis s’en vont.
Qu’est-ce que c’est que ça ?!
On oublie vite cette mésaventure pour nous diriger sur l’office du tourisme qui est comme vous pouvez le voir…
…vide !
Mais nous sommes toujours en période électoral, alors il parait que c’est normal en ces temps… Super.
Allons faire un tour en ville.
C’est vendeuses n’étaient pas dans le marché, mais juste sur le trottoir à l’écart, pourquoi ?
J’imagine parce-que la viande était un peu différente…
Le cimetière de guerre est impressionnant
Rien de vraiment spécial ici, demain nous irons voir les petits villages environnants, histoire de voir quelque chose de plus traditionnelle.
Au petit matin (7h), on frappe, je me lève du lit, le temps d’arriver à la porte ils frappent à nouveau, mais plus fort cette fois-ci. J’ouvre, ils sont 7, sept policiers qui rentrent tous dans la chambre ! Ils ne me regardent même pas, ils ne parlent qu’à Hihi… Elle ressemble à une locale, ça doit être pour ça. Elle leur fait comprendre qu’elle ne parle pas la langue, mais ils insistent et continuent de lui parler en… ben en fait je ne sais même pas en quelle langue… Un des policiers pousse nos sacs avec le pied, pour voir un peu, tous ça commence à me gonfler sévère ! Je m’interpose :
– « Qu’est-ce que vous voulez bordel ?! »
Ils ne comprennent rien… Heureusement cette fois ils ont emmené une femme avec eux, et elle parle anglais.
– « Qu’est-ce que vous faites au Nagaland ? »
– « Ben on visite… »
– « Pourquoi prendre une locale avec vous ? »
– « Une locale ?! Elle est Taïwanaise ! »
– « Vous avez des passeports pour le prouver ? »
– « Oui, il aurait fallut commencer par ça »
Je lui donne les passeport et les papiers officiels du commissariat, son visage se décompose, elle montre le tout à ses collègues, ils ne bougent plus, fixés sur les papiers.
Elle me sourit, un sourire timide et gêné :
– « Ah bien, vous êtes bienvenus… Désolé pour le dérangement… »
– « ??? »
Ils se mettent tous à sourire, et à se courber devant nous, comme les Japonais le font si bien : « Sorry, sorry, sorry… »
Puis sortent, et referment la porte derrière eux… Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Apparemment beaucoup de prostitution, et surtout de trafique de drogue (en provenance du Myanmar) ça pourrait être la raison, on ne sera jamais vraiment en fait…
Bon ben notre journée commencera plus tôt que prévu… Partons pour le village de Kigwema
Ils y a encore des maisons traditionnelles, mais le pourcentage est très bas
Des sculpteurs sont en plein action
Un pensionnat pour garçons devrait ouvrir ses portes en 2014 (c’est le maire du village qui est personnellement venu nous le signaler), et cela se fera traditionnellement, avec des murs et portes sculptés.
Ils tiennent à nous montrer la « porte » du village, cette sculpture date de 1972, mais ce n’était pas le plus incroyable…
…le plus incroyable c’est que le sculpteur de cette porte est toujours vivant, et d’ailleurs il fait partie de l’équipe pour le pensionnat, le voici ci-dessous :
Et la deuxième chose, c’est que la deuxième « porte » fût installée le 2 février 1920, et quel jour nous étions ? Oui le 2 février 2013, soit pile 97 an après. Bon ok ce n’est pas très important, mais on a trouvé ça plutôt cool !
Les chasseurs de têtes
Tous les ans début décembre près du village Phesama, se déroule le festival Hornbill.
En ce lieu toutes les tribus des environs viennent et célèbrent l’Agriculture, oui avec un grand A.
Le truc c’est qu’avec le temps, c’est devenu très commercial. À part les plus de 80 ans, personne ne vit comme ça aujourd’hui, les vêtements, défilés, danses sont surtout pour attirer les foules, d’ailleurs un hôtel 5 étoiles, oui 5 ! Est en construction, apparemment trouver un logement pendant le festival n’est pas une mince affaire.
Mais pour le « fun » et la photographie cela doit sûrement valoir le coup.
Il est possible de visiter les lieux même « hors festival », c’est presque une ville fantôme, tout est très propre, bien poli.
Les habitations traditionnelles de chaque tribu y sont représentées.
C’est un peu trop « parfait » à notre goût, mais il en faut pour tout le monde.
Demain nous partirons sur Mon plus au Nord, cette région est bordée de villages traditionnels. On va essayer d’aller voir ces hommes et femmes de plus de 80 ans directement chez eux, avant qu’ils ne disparaissent pour de bon…
14 réflexions sur « Entre Manipur et Nagaland »
Incroyable! C’est du vrai »hors des sentiers battus » ; ) Merci de nous faire connaître l’histoire du peuple Naga, triste destin… Et les policiers inquisiteurs.. haha! Pauvre Hihi…
Avec plaisir ! 😉
Bel article, un bout de vie original avec son lot de photos surprenantes pleines d’émotions et d’histoires pas
toujours très simples mais trop souvent cruelles.
Super ,merci pour ce partage bisous à plus .
Merci, bise !
Très beau partage une fois de plus,merci à vous deux;))
Encore une fois : Avec plaisir 😉
Salut ! Cela fait un moment que je suis ton blog mais je n’ai jamais laissé de commentaire. Mais vu que tes récents récits traitent de l’Inde évidemment je ne peux m’en empêcher… J’ai passé 1 an et demi en Inde alors ça me parle ! Un bref passage par le Sikkim (qui m’a l’air plus touristique que ce que tu as vu jusqu’à présent mais je te le conseille vivement, gros coup de coeur pour moi !) et du coup je suis très intriguée par ces autres Etats du Nord Est. C’est marrant que tu découvres leur situation politique sur place… Enfin, marrant et triste car cela prouve qu’en dehors de l’Inde, aucun crédit n’est accordé pour ces peuples qui se sont battus (et se battent toujours !) pour leur dignité (comme tu dis, pour l’indépendance ça me semble mort). Tous les deux vous avez vraiment un don pour vous insérer dans le quotidien des gens et nous montrer toutes ces petites choses qui ne sont PAS touristiques mais qui sont néanmoins incroyables… J’adore, et bravo ! Vous avez l’oeil 🙂
Hello,
Nous avons aussi été au Sikkim (2010), et je découvre toujours TOUT (pas que la situation politique) sur place, c’est comme ça que j’aime voyager, aucune information (ou presque), aucun préjugés comme ça et 100% découverte.
Bon trip ! 😉
J’ignorais tout du peuple Naga avant de lire tes posts… Super récits, passionnants (quant à l’attitude du photographe russe, dans le village de la tribu Konyak où vous êtes allés ensuite, elle me laisse pareillement pantoise).
Certaines maisons Naga au toit incurvé, leurs sculptures de bois, les têtes de buffles empilées, les peintures noir et rouge, etc. me rappellent étrangement les traditions du peuple Toraja à Sulawesi…
Ah bon ? Je n’ai pas « exploré » cette partie de l’Indonésie, intéressant.
Merci pour ton passage~
L’article est MALADE, j’étais l’année dernière en Assam et dans le Meghalaya mais à côté ça à l’air vraiment très développé, j’étais vraiment chaud pour faire les autres états mais à l’époque je ne savais pas qu’on avait plus besoin de pass’ (la législation venait de changer).
Super article et superbes photos !
C’est vrai que l’Assam et le Meghalaya sont les plus « simples » à visiter. Malgré l’arrêt de la paperasse c’est toujours très compliqué malheureusement, mais ça vaut largement la chandelle 😉
Merci pour les compliments ~
Incroyable aventure encore une fois. Si un jour on te recrute Sandro pour national geographic (si tu acceptes bien sûr malgré ta mésaventure avec Mr. le photographe du National geographic) ou pour la revue Geo je ne serais même pas surprise. Tes billets sont toujours d’une qualité incroyable. Je dévore royalement tes histoires et tes photos.
Merci, mais je suis loin du niveau GEO 😉
A+